Nature humaine ou voyeurisme : appelez cela comme vous le voulez. Mais on est tous un peu curieux de voir ce que chacun cache dans sa valise. Qu’emmène-t-on ? Etes-vous du genre ordonné ou fouillis ? Quel est le gri-gri dont vous ne pouvez vous passer pour vous sentir comme à la maison ?
Nous avons demandé à quelques voyageurs en visite à Paris de nous ouvrir leur valise. Et nous avons découvert le monde, de la Chine à l’Espagne, de la Russie aux Etats-Unis, plié dans leurs bagages. Chaque photo retrace l’histoire unique de ces voyageurs… pourtant pas si différents.
Svetlana – Moscou, Russie
Svetlana n’en est pas à son premier voyage. Elle parle de Paris comme si la ville était une vieille amie. Elle parle de cette fois à Nice, où son hôte lui a offert une bouteille de vin, elle parle de Chamonix, et de New York aussi. Elle se sent chez elle, même en étant ailleurs.
Chez elle, c’est à Moscou. Partir, c’est « échapper à l’air pollué, aux embouteillages, à l’impression de n’être qu’un numéro au milieu des autres ».
Comment se sentir bien, partout ? Svetlana a trouvé sa réponse dans la Beauté avec un grand B. Elle commence sa journée en savourant le calme du petit-déjeuner pris dans la cuisine, « comme à la maison ». Elle ouvre son guide de voyage, une édition russe (sa préférée), et « c’est comme si le texte avait été écrit par des amis, et qu’ils m’avaient indiqué les endroits secrets ». La Beauté peut être secrète, donc. Elle peut se cacher plusieurs heures et se révéler au détour d’un immeuble, vous coupant le souffle. C’est presque une traque, et l’une des plus difficiles, car on ne sait même pas vraiment bien ce que l’on cherche, ni comment il faut s’y prendre. La beauté d’une ville est plus que la simple beauté des pierres. Svetlana parle d’air, d’atmosphère.
Comment savoir ce qui est beau ? Comment trouver l’unique, le jamais encore vu, à l’heure où tout s’uniformise ? Ce jour-là, elle partait tenter sa chance et respirer l’air d’un nouveau quartier de Paris. Sa valise, préparée la nuit avant son départ, reste dans un coin, sans être vraiment déballée. Ce n’est pas l’important, l’important c’est d’aller dehors pour emmagasiner des émotions qui resteront logées quelque part, longtemps après son retour. La beauté, ce n’est peut-être pas à Montmartre qu’elle l’aura trouvée, mais dans le rythme de ses escaliers.
Katie – Washington State, USA
Le voyage nous oblige parfois à redéfinir les mots. Le confort de son canapé, où le trouver lorsque l’on est loin ? Comment savoir si ce que l’on appelle confort quelque part existe ailleurs aussi ?
Katie trouve que « marcher dans la rue à Paris, c’est déjà un évènement ». C’est déjà autre chose que chez soi. Chez elle, on ne voit pas autant les gens, cachés dans leurs voitures. Katie a grandi dans la maison de ses parents, et chez elle, c’était là-bas. Puis elle déménage, plusieurs fois, et chez elle devient autre chose qu’un endroit. « C’est un sentiment, une impression de chaleur, de familier ». C’est presque plus pratique, on peut le transporter ! Oui mais comment alors ? Sa valise lui cause du souci avant le départ. Elle veut être sûre de ne rien oublier, sûre que là-bas, elle sera bien.
C’est finalement en voyageant que l’on comprend : le confort tient à peu de choses. Ce grand mot qui impressionne, Katie s’amuse à le décortiquer. Pour certains, c’est décroiser les jambes, fermer une fenêtre, enfoncer son nez dans un oreiller. Pour elle, ce sera la matière de son sweat préféré, et le goût du café. Ce café qui lui est si cher, elle culpabilise presque de l’avoir bu filtré, comme chez elle, et ailleurs que dans un petit bistrot parisien. Elle s’entoure du familier pour pouvoir vivre l’aventure.
Katie voyage pour rentrer chez elle avec plus de perspective. Elle voyage aussi pour raconter aux autres ce qui s’est passé. Elle ne leur racontera peut-être pas autant le lit moelleux et le café, même si elle en avait autant besoin que des musées. Parce que, renoncer à son confort, ce serait presque comme renoncer à bien se traiter soi-même.
Oliver – Madrid, Espagne
Tout serait plus léger si les choses était aussi évidentes que les réponses d’Oliver : « je pose ma brosse à dents dans la salle de bains, et voilà, c’est chez moi ».
Ils voyagent à cinq, Oliver et ses amis, et le groupe a cette désarmante capacité à embarquer ceux qui les côtoient dans leur petit tourbillon. On ouvre les placards et on les referme en les claquant, on fait voler le tapis qui gêne, on lance en boule son pyjama sur le lit. On remue l’air entier et ça suffit à tout rendre plus vivant.
Ce voyage à Paris a été conçu à plusieurs mains, deux mois avant le décollage. On imagine les emails qui fusent, les idées qui s’échangent. Et si on allait là ? Les journées sont remplies jusqu’à l’étourdissement mais « ça ne fait rien, on marche très vite ». Oliver voyage pour faire exactement ce qu’il aime faire chez lui, mais en plus grand. C’est lorsqu’il est ailleurs qu’il aime son pays. Il trouve que Paris est charmant, presque trop calme. Il y amène ses amis pour y mettre du mouvement.
Le voyage peut être un sport d’équipe. Dans celle-ci, les mots et les gestes circulent à toute vitesse. Est-ce que les phrases qu’on se lance dans tous les sens peuvent tisser les liens qui unissent un groupe ? C’est comme si ceux-là réinventaient en temps réel leur amitié. Il y a de l’énergie dans l’air, une sorte de colle qui les retient tous les uns aux autres. C’est un groupe dont on ne peut pas être exclu. Est-ce que c’est ça, chez soi ?
Oliver et ses amis font partie de ces gens que l’on a du mal à quitter, comme une fête de laquelle on part trop tôt. Ces cinq-là pourraient bien aller où ils le veulent, l’amitié est leur vrai voyage.
Julia – Sao Paulo, Brésil
Julia a choisi Paris, ou peut-être est-ce Paris qui a décidé de la choisir. Est-ce qu’on sait toujours qui aime l’autre en premier ? Depuis longtemps, elle lit et rêve de la ville. Elle a emmené dans sa valise ces romans qui en parlent, qu’elle a pourtant déjà lus mais qu’elle veut revivre sur place, « pour en sentir l’atmosphère ».
Julia n’a pas le profil de la globe-trotteuse. Elle voyage peu, ou bien près de chez elle. Cette fois-ci c’est différent. Elle vient seule, parce qu’il y a des rencontres qu’on veut vivre sans attaches. Paris en fait partie.
Julia est Brésilienne, et plutôt habituée aux grands gestes et aux conversations qu’on entend de loin. A Paris, elle ne parle pas de la journée. Elle boit son café en silence, et essaye de comprendre ce qui l’entoure. Les premiers jours sont compliqués. On ne sait pas vraiment comment bien se placer quand on se connait à peine. Qu’a t-on le droit d’amener comme habitudes de chez soi, lorsque l’on est ailleurs ?. « Au début, je pensais que je faisais mal les choses, et puis j’ai compris ».
Elle comprend que les visages fermés ne le sont pas vraiment, elle comprend que les relations se forment différemment, elle comprend que le lien prend une autre forme, celle de la pudeur et de l’intimité. Elle finit par tout aimer ici : la nourriture, les odeurs, les petits gestes qui unissent les gens, les rires un peu moins bruyants.
« C’est une sensation étrange, je m’assois dans un café, et je me vois vivre ici ». Il aura suffi de quelques jours pour que le grand inconnu devienne sa nouvelle maison.
Lorenz – Munich, Allemagne
Il est vrai que lorsqu’on voyage dans l’inconnu, on devient par définition un touriste. Oui mais voilà, on peut être le touriste que l’on décide. Lorenz a décidé de remplacer touriste par aventurier. Lui et son amie cherchent les endroits vivants, l’authenticité, mais attention, la vraie. « Il faut se méfier des adresses secrètes dans les guides, parce que si une adresse est dans un guide, c’est qu’elle n’est déjà plus secrète, non ? ».
Lorenz vient d’un petit village près de Munich, l’un de ceux « où on parle encore un dialecte ». Ses parents y vivent depuis toujours, et ne sont pas près d’en partir. C’est rassurant de savoir qu’il existe quelque part un endroit qui ne changera jamais.
C’est peut-être pour ça que son chez lui est difficile à définir. Lorenz hésite, parle de son village, puis de la ville, qu’il préfère parce qu’elle est plus agitée, parce qu’on « peut faire la queue à la boulangerie sans connaître tout le monde ». Rien ne lui manque vraiment quand il est en voyage, ses attaches sont ailleurs, et même lui n’a pas tellement envie d’y mettre des mots. Lorenz est calme et fait partie de ceux qui réfléchissent avant de parler. Il réussit l’exploit de se raconter avec retenue et chaleur.
Puis, Lorenz finit par le dire : « home is privacy ». Chez lui, qu’il soit à Munich ou à Paris, c’est pouvoir sortir dans la rue et se mêler à la foule, sentir la vie des grandes villes, rencontrer des inconnus, des gens différents de lui, et pouvoir les quitter quand il en a envie, acheter son pain incognito. Chez lui, c’est être indépendant. Si Lorenz était plus bavard, peut-être irait-il même jusqu’à dire que chez lui, c’est là où il est libre ?
Mary – Vannes, France
Ce qui compte parfois, quoi qu’on en dise, c’est la destination. Mary parle comme elle voyage : utile et droit au coeur. Elle a le don de la phrase courte et efficace, celle qui claque : « lève tôt, couche tôt ! », « hop ! », « c’est tip-top ! ».
Elle n’habite pas loin, en Bretagne, et prouve qu’aller tout près, c’est aussi partir. Au bout de la rue, c’est déjà ailleurs que chez soi. « L’effervescence qu’il y a ici, c’est fou, ce n’est pas comme ça chez nous ». Alors pour retrouver un peu de calme, elle investit les lieux. « Je range mes affaires dans le placard, je mets mes chaussons, et on se fait un petit apéro. »
« On », c’est elle et sa fille, qu’elle a prise sous le bras pour un week-end dans un parc d’attraction. Ces deux-là ont tout balisé : les trajets, le programme, le quartier. Elles laissent le voyage d’aventure aux autres, elles savent pourquoi elles viennent et comment elles vont y arriver. Tout est simple quand on s’entend si bien. La fille finit les phrases de la mère, ou est-ce peut-être l’inverse ? « C’est la fille idéale », « non, c’est la mère idéale ».
Le voyage, c’est peut-être quand tout peut arriver mais que rien ne sera grave. On se remet vite des sorties de piste, si on arrive à prendre soin l’une de l’autre en un regard.
Brian – Chongqing, Chine
Peut-être faut-il commencer par dire que Bryan habite en Chine, et que chez lui c’est évidemment très différent de Paris. Lorsque l’on s’éloigne autant de chez soi, c’est difficile de dire où commence et où s’arrête le voyage. « Ici, chaque jour est une nouveauté ». Le chemin pour aller au Louvre, c’est aussi beau que le Louvre. Le voyage n’est qu’une question de perspective.
Bryan parcourt les rues, prélève des couleurs dans le paysage, remarque les écarts, détaille les différentes couches de la ville. Il essaye de comprendre une ville dont il ne parle pas la langue. Comment faire alors ? Puisque Bryan ne peut pas parler, il compte sur ses yeux pour tout lui raconter. Il scrute les gens dans le métro, et trouve qu’ils ont l’air très polis. Il choisit ses plats dans les restaurants sur photos, puisqu’après tout, il n’a aucune idée de ce qu’il va manger. Il reçoit des flashs de couleurs. « A Paris, les gens sont si beaux, font attention à leurs vêtements, en particulier les personnes âgées ». Il essaye même de les imiter.
Il prend des photos des rues qu’il envoie à ses amis restés en Chine, comme des témoignages de son activité visuelle intense. Il finit par s’asseoir sur un banc pour admirer la Tour Eiffel, et soudain le vertige lui vient. Sa vue lui raconte Paris et plus encore, et lui rappelle que les yeux ne sont pas si loin du coeur.